Partager un moment inoubliable avec les éléphants du Laos
Article rédigé par Juliette ORY – Chargée de projet chez E&TT
Cela fait maintenant 2 ans que les frontières du Laos sont fermées, une situation compliquée pour les Laotiens, les acteurs du tourisme et les éléphants.
Eric a été contacté en février 2022 par un ancien voyageur parti deux ans plus tôt au Laos. Il lui parle d’APEEL, une association créée fin 2021 dans le but de protéger l’environnement des éléphants.
Afin de mieux comprendre la situation de ce fabuleux animal, des parcs et du tourisme au Laos, nous avons interrogé notre réceptif, représenté par Laurent Granier, la manager du Mékong Elephant Park et vice-présidente de l’association APEEL, Wendy Leggat ainsi que le voyageur nous ayant informé de l’initiative, Bruno Hamon. Cet article se veut être le plus transparent possible, vous apprendrez énormément sur les éléphants au Laos, mais découvrirez également des faits moins réjouissants, la situation des éléphants étant plutôt alarmante. Néanmoins, certaines personnes se battent pour leur survie et la survie de leur environnement naturel.
Découvrons ensemble le discours de trois personnes aux points de vue différents, bien que toutes portent un regard bienveillant sur cet incroyable animal. Avec Laurent, nous découvrons les parcs qu’il propose dont l’ECC ainsi que la vision des éléphants par la population locale. Quant à Wendy, elle répond à de nombreuses questions sur les éléphants, son parc ainsi que son association. L’article se termine avec le récit des souvenirs de Bruno au Mékong Elephant Park.
CARTE DU LAOS
Nous avons échangé avec Laurent Granier, co-fondateur et manager de Laos Mood Travel, notre partenaire au Laos. Il nous a parlé des différents centres d’éléphants proposés par l’agence réceptive et grâce à son expérience nous a partagé ses connaissances sur le Laos.
L’agence réceptive propose 4 parcs à éléphants :
Ces parcs ont des profils singuliers. Cela se traduit par un positionnement plus marqué sur tel ou tel type de clientèle. En fonction du profil des voyageurs, de la durée du séjour sur place, des autres centres d’intérêts à intégrer lors du circuit et des contraintes budgétaires, il suggèrera tel ou tel parc. Pour les visiter, il conseille de passer au minimum 10 à 15 jours au Laos, car c’est grâce à ce temps sur place que les voyageurs peuvent faire des choses intéressantes.
Quand nous lui demandons s’il propose encore des balades à dos d’éléphants, il nous précise que cela fait 6/7 ans qu’ils ne le font plus, qu’il s’agit même d’une requête un peu dépassée. Laurent nous précise tout de même que cela se fait encore dans le pays.
Ses propos quant aux parcs qu’il propose sont rassurants. Effectivement, il précise que les éléphants y sont bien traités et que le tourisme, est un peu comme une retraite pour eux. Dans ces parcs, ils sont respectueux des animaux, ils les nourrissent, leur apportent des soins vétérinaires, un suivi, et ne les font pas travailler toute la journée… Nous discutons plus amplement de l’Elephant Conservation Center qui se trouve à une demi-journée de route au sud-est de Pakbeng. Il m’explique qu’il est préférable d’y rester deux ou trois nuits minimum, voire une semaine, car le centre propose du bénévolat. La structure d’accueil est rustique et peut dénoter avec les autres infrastructures d’accueil sur des sites « plus touristiques », mais cela en vaut vraiment la peine. D’autant plus que l’accès au parc n’est pas sur les principales routes du pays. Là-bas, on ne touche pas les éléphants, on garde ses distances. C’est une vraie démarche, il faut que les voyageurs comprennent que c’est aux visiteurs de s’adapter au rythme de vie des éléphants. Il y envoie plutôt des familles, avec des enfants qui veulent prendre le temps et évoluer dans la nature. Le parc étant assez francophone, il offre la possibilité de parler français avec les gestionnaires sur place.
Je lui demande ensuite si le bien-être animal s’inscrit dans la culture laotienne. Il me répond que la plupart des Laotiens respecte les éléphants étant donné que le pays était surnommé le Royaume du Million d’Éléphants avant l’ère coloniale française. Mais aujourd’hui, dans les faits, il n’y a pas de volonté forte et affichée de la part du gouvernement de sauvegarder les éléphants. L’éléphant fait encore l’objet de tractations, de transactions et il y a beaucoup de non-dits… Très peu d’éléphants restent en milieu sauvage parce que le pays entier fait l’objet de convoitises rémunératrices pour les forêts, le bois, les mines, les barrages hydroélectriques… Le pays se développe et le milieu sauvage ne fait pas l’objet de priorité. La faune sauvage et son habitat ne sont pas une source de préoccupation majeure autant pour la population que pour les instances dirigeantes.
Le Laos est replié sur lui-même depuis 2 ans. Compte tenu des mesures en vigueur, les Laotiens ont toutes les peines du monde à sortir du pays, et ce, depuis le début de la gestion de la pandémie. Ils passent donc leurs vacances dans le pays, mais ne vont pas voir ou dépenser leur argent dans les parcs d’éléphants, ce n’est pas leur priorité. Nous apprenons que la vision des visiteurs régionaux (Coréens, Japonais, chinois, thaïlandais…) et des occidentaux n’est pas vraiment la même. Le tourisme de groupe régional asiatique n’est pas nécessairement sensible au bien-être animal comme pourrait l’être le public occidental de voyageurs indépendants. Les parcs n’ont quasi aucun revenu généré par le marché domestique Laotien. Le peu de visiteurs qu’ils ont eu sont souvent des familles d’expatriés. De ce fait, il recommande chaudement de faire une expérience dans un des centres pour aider les parcs et contribuer à maintenir une population d’éléphants en bonne santé, offrant ainsi la possibilité d’un avenir plus réjouissant concernant la survie des pachydermes. C’est aussi, et surtout, l’occasion de vivre une expérience mémorable et incomparable. De plus, les voyageurs osant côtoyer les éléphants de près retournent tous enchantés. Cette expérience restant souvent un des moments forts de leur voyage.
Il conclut notre échange sur le devoir des agences et entreprises touristiques en général, d’être force de proposition et d’encourager des pratiques respectueuses via des partenariats forts qui passent par un soutien aux parcs ayant des pratiques bienveillantes. Il souligne que c’est aux producteurs, vendeurs et opérateurs de voyages responsables, de ne pas se laisser déborder par les discours de lobbyistes. Des discours n’apportant aucune solution concrète pour la préservation des pachydermes dans des conditions dignes, préférant militer pour l’arrêt pur et simple du côtoiement des éléphants à des fins touristiques…
Depuis 4 ans, Wendy Leggat est en charge du Mékong Elephant Park, un sanctuaire au Nord du Laos où l’on sauve des éléphants abusés par l’industrie forestière et touristique. Nous l’avons interrogée sur son parc, l’association Apeel et évidemment sur ses éléphants ! Rentrons directement dans le vif du sujet.
Quelle est la situation de l’éléphant au Laos ?
Le Laos était le pays au million d’éléphants, aujourd’hui il en reste moins de 800. La moitié à l’état sauvage et l’autre moitié en captivité. Pour sauver l’espèce, il est important d’avoir une nouvelle génération et cela passe par les éléphants captifs également. Les éléphants captifs, ce sont les éléphants qui sont nés et ont grandi avec les humains. Au Laos, il manque des générations d’éléphants, la principale menace des éléphants sauvages étant représentée par la perte d’habitat naturel. Historiquement, le lieu de vie d’un éléphant est la forêt, mais seulement 40 % du territoire en est aujourd’hui couvert. La destruction de la forêt implique qu’ils n’ont plus d’endroit où migrer et manger.
De plus, le cycle de l’éléphant est long. Une femelle enceinte, c’est 22 mois de gestation et 22 mois d’allaitement. Donc pour la population domestiquée quand les éléphants travaillent en forêt, cela coûte très cher au propriétaire pendant 5 ans, et ne rapporte rien puisque l’éléphant ne peut pas autant travailler. En conséquence, la reproduction s’est presque complètement arrêtée durant des années. Aujourd’hui, la population des éléphants est une population très vieillissante avec une grosse partie des mâles qui sont stériles, ayant reçu des piqûres pour être moins agressifs. La situation est vraiment dramatique. Si l’on veut une chance de sauver l’espèce, ça passera certainement par la reproduction et la réintroduction de nouveaux éléphants dans une ou deux générations à l’état sauvage, s’il y a encore de la forêt… L’ECC fait un travail formidable de réintroduction à l’état sauvage avec déjà quatre éléphants.
Parlons un peu de cette future génération !
La bonne nouvelle, c’est que 2 de nos femelles sont enceintes. Nous sommes partis à pied, à travers la forêt, avec nos deux plus jeunes éléphantes, jusqu’à l’ECC (Elephant Conservation Center ndlr) rejoindre leur programme de reproduction ou ils ont une biologiste, un laboratoire et des mâles plus efficaces. L’une est enceinte de 18 mois et l’autre de 15. Il faut maintenant que les accouchements se passent bien, ce qui peut s’avérer compliqué. Effectivement, ce sont les premiers accouchements pour nos deux femelles, qui n’ont jamais pu prendre exemple sur d’autres femelles de leur espèce… À l’état sauvage, c’est plus naturel, elles voient l’acte de reproduction, des accouchements, des éléphanteaux et elles observent d’autres éléphants… la vie, quoi ! Mais ces éléphants que nous avons sauvés ont été isolés socialement et totalement, ils n’ont pas eu la chance d’avoir une vie d’éléphant, d’avoir cette vie au sein d’une harde. On ne connaît donc pas le comportement de la mère, qui peut se questionner sur l’éléphanteau et mal réagir. Et puis le challenge ne s’arrête pas là, il y a le challenge des deux premières années. Mais pour l’instant, tout se passe très bien.
Combien ça coûte de sauver un éléphant ?
Cette année, nous devions sauver une éléphante, mais sauver un éléphant, c’est 40 000€ et nous sommes un petit centre… On a essayé de lever les fonds, malheureusement l’éléphante est décédée avant qu’on ne puisse la sauver. Avec la Covid c’est d’autant plus compliqué de lever des fonds !
Qu’est-ce qu’un cornac ou un mahout ?
Un cornac ou un mahout c’est la même chose ! Cornac, c’est en français et Mahout c’est en anglais. On a encore des cornacs qui sont nés, ont grandi et vivent avec leurs éléphants. Ils les connaissent par cœur et leur savoir se transmet de génération en génération. Il y a évidemment des choses qui ne sont plus nécessaires, c’est pourquoi on travaille sur le renforcement positif, mais ils sont ravis d’apprendre et de ne plus avoir à travailler en forêt avec leurs éléphants. C’est une alternative pour l’éléphant bien sûr, mais également pour les cornacs. Ça permet de garder leur connaissance des éléphants. Mon chef des cornacs à 60 ans et a grandi avec 7 éléphants. Être cornac est un métier difficile, il faut se lever très tôt, se coucher très tard et vivre en pleine forêt. Certains cornacs connaissent mieux leurs éléphants que leurs propres enfants…
Comment trouvez-vous les éléphants ?
Parfois il y a des cornacs du coin qui entendent parler d’éléphants qui travaillent en forêt, ce qui est plus ou moins officiellement interdit. Quand ils me le rapportent, je me déplace et je vais discuter avec le ou les propriétaires pour voir l’éléphant et voir ce que l’on peut faire… Des fois ce sont directement eux qui viennent nous voir, car l’éléphant représente un poids plus qu’une aide pour le propriétaire. Dans ce cas, il peut demander au parc de le racheter.
À qui appartiennent les éléphants du parc ?
Le Mékong Elephant Park rachète des éléphants exclusivement venant du Laos, exploités soit par l’industrie forestière (où les éléphants tiraient du bois), soit par l’industrie touristique (où ils faisaient du cirque). Normalement, les éléphants n’ont pas le droit de quitter les frontières.
Nous refusons la location, car cela donne lieu à des situations terribles pour l’éléphant qui se retrouve à avoir une vie agréable dans la forêt et d’un coup peut être récupéré par son propriétaire pour aller travailler sur du béton.
La crise sanitaire a-t-elle changé la situation de la population et des éléphants ?
La COVID a laissé beaucoup de gens sans revenu et a été dramatique pour les éléphants, surtout pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’habiter en forêt. Les éléphants n’ont donc pas tous accès à la nourriture…
Il y a aussi eu une explosion du braconnage du bois, et d’à peu près tous les animaux de notre réserve. Notre parc, c’est à peu près 40 hectares… On a donc dû lever des fonds pour engager deux rangers pour faire peur aux braconniers et mettre la pression sur la police tous les matins.
C’est de là qu’est née l’idée d’une association plus large que les éléphants ! On s’est rendu compte que ça ne servait à rien de les protéger s’il n’y avait plus de forêts. Il n’y a pas d’intérêt à sauver des éléphants pour les mettre dans des zoos…
Justement, parlons un peu d’APEEL !
APEEL, c’est une association pour la protection de l’écosystème des éléphants du Laos que l’on a créée en 2021. Plus on lève de fonds, plus on loue ou achète des hectares de forêts protégées et plus on peut créer de l’emploi. Souvent on règle deux problèmes à la fois ! On protège l’environnement naturel de l’éléphant et on stoppe le braconnage. Car les emplois créés sont une alternative de revenus pour les braconniers, qui sont aussi ceux qui connaissent le mieux la forêt. Quand on leur propose une alternative au braconnage, ils sont très contents d’arrêter. Nous travaillons donc étroitement avec la communauté locale qui pour nous est la seule solution d’avoir un projet fiable et pérenne.
À quoi servent les dons ? Est-ce surtout de la sensibilisation ?
Les dons de particuliers ou d’entreprises servent à la création d’emplois (rangers) et à la location ou à l’achat d’hectares. Ils servent également à sensibiliser les élèves dans les écoles sur l’impact du plastique, un gros problème en Asie ou encore à la protection des animaux.
(L’adhésion à l’association est de 12 € en y ajoutant le don de votre choix et 4 € pour la plateforme Hello Asso. ndlr)
Pourquoi l’éléphant est-il important dans l’écosystème ?
L’éléphant, c’est ce qu’on appelle une espèce clé de voûte, une espèce indispensable à quasiment une cinquantaine d’autres espèces animales et végétales. Si l’éléphant disparaît, cela engendrera la disparition de nombreuses autres espèces. L’éléphant est aussi appelé le jardinier de l’écosystème, c’est lui qui plante. Quand il mange les graines puis les rejette, il plante et fait pousser des arbres. Quand il creuse pour accéder à l’eau, il en fait également profiter d’autres espèces. Quand il fait tomber des arbres, il donne à d’autres la possibilité de devenir plus fort et d’avoir plus de soleil. Il débroussaille ce qui permet aux élans ou aux biches d’accéder à la forêt… La biodiversité est merveilleuse lorsqu’elle n’est pas déséquilibrée.
De quoi se nourrit un éléphant ?
Un éléphant mange environ 250 kg/ jour, ce qui représente à peu près 18 h de sa journée. Il mange des racines, des écorces, du bambou… Un éléphant se nourrit d’à peu près 150 espèces végétales différentes et c’est lui qui choisit ce qu’il préfère. Il n’y a pas deux éléphants pareils, certains n’aiment pas les bananes trop mûres, d’autres le melon…
Comment reconnaître un bon sanctuaire / parc, quels sont les pièges ?
Les mots, “sanctuaire” ou “parc” ne veulent absolument rien dire, il y a des sanctuaires qui n’ont de sanctuaire que le nom. Ce n’est pas parce qu’un parc a arrêté les balades à dos d’éléphants que leurs éléphants sont bien traités. Aujourd’hui, c’est dur de différencier un bon sanctuaire d’un mauvais. Il y a une accréditation dans le nord de la Thaïlande, l’ACES (Asian Captive Elephant Standards), supportée par deux ONG, GIZ et PATA. Ces ONG aident et prennent en charge les coûts de l’accréditation pour certains parcs dont le projet a été retenu. (Le Mékong Elephant Park compte se faire auditer en mai si l’ouverture des frontières se confirme. ndlr). On se bat pour avoir des accréditations afin qu’agences et voyageurs puissent s’y retrouver.
Dans le cadre de notre projet, trois choses sont importantes :
- Un comportement naturel,
- Un environnement naturel,
- Une alimentation naturelle.
Au Mékong Elephant Park nos éléphants ont un comportement naturel. Ils marchent, ils se baignent… mais jamais entourés de 20 touristes puisque ça n’est pas naturel et peut engendrer du stress pour l’animal. Parfois, ils sont forcés de faire 5 ou 6 bains par jour avec des gens autour d’eux et on leur demande de rester immobile. Là, on comprend bien que c’est un moment créé pour nous, humain, et pas pour l’animal. C’est pourquoi nous insistons sur le comportement naturel.
On prône un environnement naturel, car un éléphant n’a rien à faire sur du ciment, du béton ou dans un centre-ville, il doit être dans la forêt. Ce n’est pas aux éléphants d’aller à la rencontre des touristes, mais aux touristes de venir les voir dans leur environnement naturel.
Enfin, le but d’une alimentation naturelle est qu’ils cherchent par leurs propres moyens directement dans la nature quand cela est possible, car pour certains éléphants, cela est compliqué… Dans notre cas, on ne leur livre presque pas la nourriture, ils la cherchent eux-mêmes.
Quelle est la situation du Mékong Elephant Park ?
Les deux dernières années ont été compliquées, les frontières étant complètement fermées.… Le Mékong Parc est un projet écotouristique qui dépend financièrement des visiteurs. À partir du moment où il n’y en a plus, c’est assez difficile. Le gouvernement est seulement en train de parler d’une réouverture. (Mars 2022, ndlr) Les Laotiens ne sont pas intéressés par nos projets pour le moment. Les seuls touristes que nous avons eus sont les expatriés qui vivent au Laos. C’est une période très longue et difficile. Sur 22 emplois, nous n’avons réussi à en garder que 7, mais évidemment nous sommes restés très proches du reste de l’équipe et à partir du moment où les frontières rouvriront, nous recréerons ces emplois.
Qu’est-ce qu’une journée traditionnelle pour un manager et un visiteur ?
Ce sont de grosses journées ! Je commence vers 7 h du matin par un check vétérinaire ou un soin pour un éléphant. Ensuite, il y a une réunion avec l’équipe. Avant la Covid, nous avions créé 22 emplois. Il y avait la cuisine, les jardiniers, mais aussi les techniques… Nous avons aussi, sur place, une boutique de souvenirs dans laquelle on ne vend que des produits locaux. Il y a un forgeron, une tisseuse de bambou et un tisseur. On commence donc la réunion avec toutes ces personnes, dans laquelle on parle des réservations de la journée. Les cornacs s’occupent des éléphants dans la zone de loisirs.
Ensuite, les touristes arrivent et le matin, c’est moi qui les accueille. Le matin, on appelle ça les instants privilégiés, ce sont deux à quatre personnes maximum par éléphant. Là, ils partent dans la forêt avec les Cornacs, chercher l’éléphant. Ils marchent auprès de lui, pour atteindre le Mékong, où ils regardent l’éléphant boire ou se baigner s’il en a envie, parce qu’on ne force pas les éléphants. Ça, c’est vraiment le moment privilégié.
À partir de midi, il y a ce que l’on appelle le mode Park, où les visiteurs peuvent uniquement observer de loin. Les éléphants sont dans la zone d’observation, les voyageurs peuvent faire des trecks tout seul, observer les artisans, jouer à la pétanque avec les cornacs…
Dans le parc, il y a également la ferme Hmong, une ethnie minoritaire du Laos. Nous travaillions avec une des familles, qui est en charge de tous les fruits et légumes que nous proposons dans le parc. Tout est fait sur place ! Il est possible de visiter la ferme et de découvrir l’agriculture Hmong.
Pourquoi les cornacs ont-ils des bâtons ?
Au mékong Elephant Park, c’est le cornac des mâles qui va l’avoir dans son sac et ne le sortir qu’en cas d’urgence, un mâle étant beaucoup plus agressif. Chez les mâles, il existe les périodes de musth, c’est une fois par an. L’animal rentre dans un état second. À ce moment-là, il peut tuer n’importe quel passant, son cornac ou encore d’autres femelles. Ce n’est pas sa faute, c’est hormonal. Le crochet va donc permettre au cornac d’éviter d’utiliser la violence, car juste en le sortant, cela suffit à calmer l’animal. L’éléphant mâle est souvent dans un défi avec son cornac, parce qu’à l’état sauvage, il défie d’autres mâles en permanence. On peut éviter ainsi très rapidement les violences. Il est arrivé une fois que le cornac le sorte comme élément dissuasif, car notre mâle s’attaquait au restaurant.
Pourquoi les éléphants sont-ils attachés ?
Les éléphants sont uniquement attachés la nuit, pas la journée. Ce n’est pas une solution idéale, mais avec un animal de trois tonnes aussi puissant, il n’en existe pas. Si un éléphant va dans une plantation et qu’en 20 minutes, il anéantit un an de travail, le fermier ne va pas voir l’éléphant comme un animal en voie d’extinction qu’il faut protéger, mais comme le destructeur de son travail. Il ne pourra pas financer les études de ses enfants, ni leur donner à manger, donc il va tirer dessus. Dans le cas d’un villageois qui se fait tuer par un éléphant qui ne devait pas être là, il devient compliqué de travailler avec le village. Il ne faut pas oublier que c’est un animal très puissant.
Nous les mettons ensemble avec de longues chaines de 60 m, ce qui est cohérent puisque dans la journée quand il y a à manger, nos éléphants ne dépassent pas 100 m… Ces chaines nous permettent de les changer de place tous les soirs dans le parc et de limiter les maladies… Et ils peuvent ainsi se nourrir toute la nuit sans dépendre de nous. Les déplacer, c’est ce qu’ils feraient dans leur environnement naturel, comme les éléphants ne dorment jamais au même endroit. Nous les déplaçons en fonction de la nourriture, la saison sèche, la saison des pluies, tout en les laissant ensemble dans un grand périmètre. Nous sommes transparents à ce propos, c’est d’ailleurs l’une des premières règles : ne jamais mentir et toujours expliquer !
J’insiste également sur le fait que ce sont des éléphants qui ont toujours connu les chaines, ce ne sont pas des éléphants sauvages que l’on sort des forêts.
Que diriez-vous aux futurs voyageurs ?
Le Laos est un pays merveilleux, un pays magnifique avec des paysages sublimes et des gens uniques. Ils sont gentils, zen et de bonne humeur, ils détestent le conflit ce qui donne une société qui est très relaxante et sereine. Ils ont encore gardé leurs traditions et en sont fiers, ce qui est très agréable. Ni le tourisme, ni l’économie n’ont changé cela et ça en fait une destination unique. Comme il n’y a pas la mer, on évite le tourisme de masse et on a vraiment des voyageurs qui s’intéressent aux autres et à leur culture. C’est, pour moi, le moment idéal de visiter le Laos !
C’est aussi le pays au million d’éléphants, alors il est hors de question qu’on les laisse s’éteindre, pour nous, c’est inconcevable. L’éléphant est un animal fabuleux et intelligent. Quand les gens traversent le Mékong dans notre parc, ils arrivent ailleurs, dans un autre univers, dans le territoire des éléphants et des cornacs. Ils peuvent échanger avec eux et les découvrir. Je suis fière de notre équipe, de notre projet et nous serions ravis de vous accueillir et de vous présenter nos éléphants.
Deux ans plus tôt, Bruno Hamon et sa femme, Anne se trouvaient au Laos. Bruno nous raconte une partie de son voyage et nous transmet avec émotion sa journée au Mékong Elephant Park avec les éléphantes.
“Notre programme incluait une journée de remontée du Mékong de Louang Prabang à Pakbeng. Nous arrivons donc en fin d’après-midi à Pakbeng ! Un vrai paradis, une grande clairière au bord d’un fleuve majestueux… Et après une journée passée entre deux rives très vertes et quasiment désertes (puisqu’il n’y a rien sur le bord du fleuve pendant 150 km) nous arrivons dans un petit village, bâti au bord de fleuve. De là, nous rencontrons Benoît, le directeur du Sanctuary Pakbeng Lodge, venu nous chercher à l’arrivée du bateau. Nous passons la soirée à l’Hôtel en sachant que le lendemain matin, il est prévu de visiter le Mékong Elephant Park.
Il se passe des choses incroyables quand on dort au Sanctuary Lodge, situé au bord du Mékong. D’abord, il y a la vue, l’ambiance, les nuits tropicales… C’est incomparable, la musique, les cris d’animaux, la température, les grillons… Et puis, au lever du soleil, vers 6 h, nous entendons deux cris d’éléphants. C’est absolument extraordinaire parce que nous ne nous y attendions pas, ce ne sont pas des bruits que nous entendons très souvent… Nous sautons sur nos pieds, sortons du lit pour aller sur le balcon et là, nous voyons des éléphants se baigner, juste en bas de chez nous dans le Mékong ! C’est comme ça que cette journée commence… Avec un moment magique. Elles étaient deux, deux femelles en train de prendre leur bain du matin. Nous nous sommes donc dépêchés de prendre notre petit déjeuner, d’embarquer à bord du bateau et de traverser le fleuve pour aller de l’autre côté dans la province de Sayaboury, au Mékong Elephant Park.
Wendy nous accueille, ma femme et moi sommes les deux seuls visiteurs ce qui nous laisse le temps de faire connaissance. Elle nous emmène ensuite jusqu’à un terre-plein au centre du parc, situé à quelques dizaines de mètres. Il y a quelques petites cases dans lesquelles habitent deux ou trois familles Hmong. Mais c’est aussi là, où les Cornacs vivent. Nous découvrons que les éléphants vivent toute leur vie avec un cornac et le cornac partage tout avec l’éléphant. Tout, c’est le jour, la nuit, les périodes faciles, difficiles… Ce ne sont pas des animaux durs ou agressifs, mais l’éléphant obéit à son cornac. Quand on passe du temps avec l’éléphant, le cornac n’est jamais loin ! Non pas que cela soit dangereux, parce que les éléphants sont adorables… C’est vrai, depuis deux ans, je compare la relation avec ces animaux, avec la relation que l’on peut avoir avec un gros chien.
Nous quittons ensuite le village et partons avec Wendy en promenade avec deux femelles jusqu’à arriver à une source. Arrivés au point d’eau, nous restons le temps qu’elles se désaltèrent. Et elles boivent beaucoup, ça doit être entre 30 à 40 litres d’eau, j’imagine… Donc ça prend un peu de temps… Nous reprenons à travers de petits sentiers notre balade dans la forêt. Nous nous baladons avec une bête qui fait 3 m de haut et qui pèse 3 tonnes, comme nous nous baladerions avec un chien sauf que là, il n’y a même pas de laisse ! Pas de laisse, puisque les ordres donnés par le cornac suffisent à lui signaler d’avancer, de faire attention ou de s’écarter quand nous passons à côté… Nous nous baladons, nous marchons à côté d’elles, nous les accompagnons. Je ne dirai pas que nous discutons avec elles, mais il y a une certaine communion, une complicité assez hallucinante. Puis, à un moment, une éléphante décide de rentrer dans une forêt de bambou… Et quand une éléphante décide quelque chose, c’est bien elle qui décide, pas vous. Elle rentre donc dans cette forêt de bambous, avoisinant les 6 à 7 m de haut et au bout de 3,4 secondes, nous ne la voyons plus. C’est tellement dense que même cet énorme animal disparaît, mais nous entendons tout de même le bruit de sa mastication. Nous l’entendons arracher les tiges de bambous frais, sa nourriture préférée. Elle déguste tranquillement et puis, nous comprenons que si personne ne va la chercher, elle continuera à dévorer le buisson de bambou. Nous, si on l’appelle, il ne se passera rien. En revanche, le cornac, lui, arrive à la convaincre de revenir sur le chemin et de repartir. Et donc, les deux éléphantes repartent tout doucement, parce qu’un éléphant marche un peu moins vite qu’un homme. Ainsi, tout tranquillement, nous marchons jusqu’à ce qu’elles décident de s’arrêter à nouveau pour manger. Nous partageons avec ces éléphants des moments simples, un plaisir presque basique, mais une émotion et une joie fabuleuse. C’est ce jour, où ma femme et moi, sommes tombés amoureux des éléphantes. (Je parle des éléphantes, puisque nous n’avons pas vu de mâle).
C’est assez difficile à décrire, mais c’est très émouvant. Nous sentons que ce sont des animaux très intelligents ! L’œil ainsi que la façon dont ils vous regardent sont très impressionnants. Nous voyons qu’ils jaugent la personne en face d’eux afin de savoir s’il y a de l’agressivité dans son regard, de discerner le type d’interaction qu’il pourrait y avoir. Ils parlent à leur manière, notamment grâce à leur barrissement ! D’ailleurs, Wendy sait reconnaitre quand ils sont joyeux ou très joyeux, quand ils ont des questionnements, quand ils sont angoissés…
Nous avons donc passé trois heures à nous balader dans la forêt et ces heures-là, nous ne les oublierons jamais.”
– Bruno Hamon, ancien voyageur d’E&TT
Magnifique descriptif qui donne envie de partager en découvrant !
La proximité et la discrétion semblent de beaux atouts pour un tel voyage!